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Ambiguïtés de la coparentalité
Un couple sur trois se sépare (un sur deux en région parisienne) et un enfant sur trois naît hors mariage. Ainsi, un quart des enfants de parents séparés perdent le contact avec leur père, ce qui entraîne l’éviction ou la démission progressive de la responsabilité éducative d’un certain nombre de pères.
Face à cette réalité qui engendre un coût social et humain très important, la coparentalité devient un enjeu majeur car elle concerne le partage des responsabilités entre un père et une mère lorsqu’ils sont séparés afin de garantir à leur enfant son droit à être élevé par ses deux parents, une fois la séparation effectuée.
Cependant cet idéal de coparentalité est ambigu. La célèbre formule « le couple parental survit au couple conjugal », employée depuis la loi de 1987 sur l’autorité parentale conjointe, exprime, de façon illusoire, le désir de la société de maintenir l’indissolubilité de la famille au-delà de la séparation, comme si celle-ci n’affectait pas le lien parents-enfants, et son refus d’avoir à prendre position dans les rapports privés du couple.
Or, la séparation modifie en fait profondément l’homme et la femme du couple parental et les inscrit dans une « dynamique de changement » 1. qui, en dissociant leur histoire, va favoriser la différenciation des codes d’éducation paternel et maternel, transformant l’éducation commune en deux éducations différentes, changeant ainsi le lien parent-enfant de façon significative.
L’exercice de la coparentalité doit donc tenir compte de ces changements structurels liés à l’évolution de la famille d’origine, sortir du mythe fondé sur le maintien en l’état de celle-ci et reconnaître les nouveaux choix de vie que les parents poursuivent, que ce soit dans le cadre d’une famille monoparentale, biparentale ou recomposée.
L’exercice de la coparentalité, par essence conflictuel, aboutit ainsi à des équilibres successifs qui ont une valeur structurante pour l’évolution de l’enfant. Une bonne distance est à trouver entre deux positions contradictoires :
.d’une part, la complicité, qui prolonge l’ancienne relation affective et la proximité , ce qui facilite la gestion des différents problèmes éducatifs au quotidien,
.d’autre part, l’éloignement, qui permet de dépasser la rupture, faire le deuil du couple, et lever les ambiguïtés qu’une attitude peu claire pourrait induire chez les enfants.
L’enfant se retrouve donc dans la position d’avoir à se dégager partiellement de la triangulation œdipienne qu’il forme avec le couple de ses parents pour s‘inscrire, d’une part, dans la dyade qui le relie à chacun d’eux et, d’autre part, pour constituer d’autres triangulations liées à son nouveau contexte familial (beau-père, belle-mère, liens avec les grands- parents…).
Cette nouvelle place, ces nouveaux liens, ne sont pas sans effets symboliques sur le développement de sa personnalité. La rupture amoureuse induit donc de nouvelles relations et des nouvelles triangulations qui vont plus ou moins bien s’articuler avec sa structure œdipienne initiale, générant souffrances, remaniements psychiques mais aussi structurations et réparations.
L’enfant vit donc la contradiction entre les liens nouveaux qu’il s’approprie au fur et à mesure et des liens de filiation indissolubles qui le relient à son passé, à son père et à sa mère, à ses lignées paternelle et maternelle.
L’idéal d’indissolubilité du mariage se voit transféré sur l’idéal d’indissolubilité de la filiation qui est fragilisée par la séparation et doit faire l’objet de négociations entre les parents : « il leur faut assurer le lien inconditionnel par la séduction de l’enfant, par une habile négociation avec l’autre parent. Il peut même se rompre. Les parents divorcés témoignent de cette difficulté d’assurer notre idéal commun de la filiation. Cela culpabilise la société toute entière. Les ambiguïtés de notre conception de la coparentalité, la famille maintenue, le couple maintenu, sont une expression de culpabilité collective » . 2.
Par ailleurs, l’évolution sociale du statut de la femme remet radicalement en cause la hiérarchie conjugale et situe désormais l’homme et la femme comme égaux et différents. L’égalité sexuelle, qui s’accompagne d’une asymétrie dans les rôles et les fonctions de chacun, s’exprime tout particulièrement dans la vie familiale et les liens de filiation, rendant plus difficile la séparation du conjugal et du familial et compliquant la mise en œuvre de la coparentalité.
Coparentalité et Médiation Familiale
La médiation familiale tente de répondre aux enjeux de l’exercice « idéal » de la coparentalité.
Par certains côtés elle est une pratique paradoxale :
.autant sur la forme : réunir un couple pour l’aider à organiser sa séparation ou à mieux l’assumer, le médiateur familial servant de « trait d’union séparateur », selon la formule de Marie-Thérèse Martinière , 3.
.que sur le fond : viser, en apparence, à inscrire le couple conjugal dans sa coparentalité, par la recherche de solutions négociées concernant l’enfant, donc de conduire ses parents à se comporter en êtres adultes et responsables, alors qu’en fait le couple est dans une situation de plus ou moins grande souffrance. En effet, dans le processus de séparation, chacun accomplit un parcours différent et ne traverse pas en même temps les étapes d’élaboration du deuil de la relation.
Il y a donc un certain déséquilibre entre les deux protagonistes, générateur de crises.
De par sa fonction, la médiation familiale déplace cette crise conjugale dans le champ de la coparentalité. L’enfant devient, de ce fait, l’enjeu privilégié de la relation conflictuelle du couple et de ses difficultés de communication, catalysant la discorde ou les attitudes défensives et agressives de chacun.
Le médiateur familial offre alors au couple un cadre structurant, un espace-temps, une méthodologie et une écoute spécifique qui va lui permettre d’évoquer son vécu, d’exprimer ses émotions, d’amorcer son histoire personnelle et générationnelle.
Dans la médiation familiale, il va inviter les partenaires à dresser un bilan personnel, professionnel, conjugal et parental et à établir un génogramme familial.
Son rôle est d’aider chacun à reformuler ce qui lui arrive et à s’assurer qu’il a compris le message de l’autre.
Au fil des entretiens, les douleurs enfouies s’expriment, les non-dits et les malentendus se lèvent, la perception des situations conflictuelles se clarifie.
Le conflit conjugal, frein sous-jacent de la négociation, s’appuie sur la relation réciproque à l’enfant, avec ce qu’elle éveille en chacun d’affects puissants.
Le médiateur familial intègre cette place particulière conférée à l’enfant par le couple, pour dénouer le conflit, en déjouer la collusion inconsciente et faire avancer le processus.
L’enfant se retrouve donc bien, involontairement, au cœur de la médiation familiale, symptôme parlant de la problématique conjugale, s’exprimant à travers le conflit parental.
Pour le médiateur familial, il est le repère signifiant, « objet transitionnel », au sens de Winnicott, du processus de médiation dont il représente l’enjeu final.
Ainsi la médiation familiale peut être espace de transition, de symbolisation et de construction de l'avenir.
Autres articles :
1.Journée de travail sur la « coparentalité », organisée par la commission Typhaon, le 12 juin 1997 ? à Paris, revue Dialogue n° 137, 3ème trimestre 1997, éditée par l’AFCCC.
2. Théry Irène, Le démariage et la filiation, revue Dialogue n° 141, 3ème trimestre 1998, publiée par l’AFCCC, Ed. Erès
3.Martinière Marie-Thérèse, La médiation familiale : panser ou penser les séparations conjugales ? revue Dialogue n° 143, 1er trimestre 1999, publiée par l’AFCCC, Ed. Erès